Un rossignol en cage [Margaery]

Kaithren était présente à la cour parce que sa famille le lui avait demandé, parce que c’était là qu’elle était utile aux Lannister. Son intérêt personnel dans toute cette histoire avait été relativement faible. Certes, elle avait grandi, et évoluait encore dans un environnement luxueux. Elle connaissait des secrets. Elle avait de l’influence sur les enfants royaux. Elle avait reçu une éducation. Bon, d’accord. Peut-être pas si faible. Ca ne changeait rien à la grande solitude qu’elle ressentait ou à sa douleur secrète, mais après tout, quelle femme de Westeros pouvait se vanter de faire passer son intérêt et son plaisir personnel avant celui de tous les autres ? Elles ne devaient pas être beaucoup.

Etait-ce pour cela que Margaery Tyrell était à Port Réal ? Avait-elle un agenda caché qui la pousse à venir se constituer volontairement prisonnière dans la capitale ? Kaithren l’avait un peu fréquentée dans son ancienne vie. Elle l’avait trouvée vive, charmante, intelligente, avec un éclat déluré dans les yeux qui disait qu’elle aimait trop sa liberté pour jamais se contenter d’être un oiseau en cage. Une caractéristique à l’époque si étrangère à sa propre nature qu’elle l’avait considérée avec méfiance. Les circonstances, à son retour de Dorne, leur avaient qui plus est prêté des intérêts opposés. Vue comme l’influence de trop sur Tommen, Kaithren avait été expédiée fissa dans les Marches pour un mariage qui lui avait semblé alors une sentence d’exil. Néanmoins, elle avait vaguement senti une préoccupation sincère de la reine pour son jeune cousin, une certaine douceur qui ne pouvait être entièrement feinte, sous ses manières de cour et pour cette raison, elle avait laissé faire. Elle avait même été attristée, alors, d’apprendre sa mort, ne serait-ce que parce qu’elle avait entraîné celle de Tommen.

Aujourd’hui, toutefois, tout recommençait et pour une raison qu’elle n’arrivait pas à comprendre, Margaery Tyrell, épouse Baratheon, était venue s’enterrer dans les terres de ses ennemis. Qu’avait-il bien pu passé par la tête de cette jeune femme qui lui avait pourtant semblé fine et intelligente ? C’était ce qu’elle allait tâcher de découvrir aujourd’hui. Même Joffrey pouvait percevoir la stupidité géopolitique de sa présence, et il avait envoyé sa cousine pour percer à jour la jeune femme, si elle le pouvait. Etait-elle là pour espionner pour le compte de Renly ? Et si oui, y avait-il un traître dans son entourage lui permettant de faire sortir des informations de la capitale ? Il était en tout cas certain qu’elle n’avait pas accès à un corbeau sans que ses messages ne soient relus.

Kaithren sourit au serviteur qui annonçait sa présence, et rentra sans plus attendre dans les appartements de Margaery.

« Bonjour, Dame Margaery. J’ai pensé qu’un peu de compagnie vous ferait plaisir aujourd’hui. » Elle accompagna son sourire d’un geste de la main désignant la fenêtre. Une pluie d’été fine et grisâtre tombait sur les jardins, les privant toutes deux de promenades. « Je sais que comme moi, vous appréciez les jardins du Donjon Rouge, mais je crains que nous ne devions nous contenter de fleurs en vases, aujourd’hui. »

Au fond, elle était réellement curieuse de mieux connaître la jeune femme en face d’elle. Au-delà de la mission que lui avait confié son roi, elle était certaine qu’elle aurait une conversation terriblement intéressante. Avait-elle elle aussi de ces réminiscences du passé auxquelles elle entendait des allusions régulières et qui la troublaient fortement ? Une part naïve d’elle-même ne pouvait pas s’empêcher d’espérer, peut-être, se faire une amie aujourd’hui.

« Merci de me recevoir, Lady Margaery. » Kaithren offrit un gracieux sourire à son hôte, qui n’avait eu aucun choix en la matière, vue la manière dont elle s’était imposée. La jeune Tyrell avait promptement renvoyé ses dames de compagnie, ce qui laissait présager de la bonne volonté et une conversation des plus intéressantes. Oui, elle était vraiment ravie que Joffrey lui ait demandé de se rapprocher de cette potentielle rivale, car l’après-midi s’annonçait excellente, en dépit du mauvais temps.

Kaithren fit un signe aux servantes qui l’accompagnaient : l’une d’elle déposa son panier à ouvrage près du fauteuil où elle-même se dirigeait, tandis que l’autre s’approcha tête baissée de la table où se tenait Margaery et y déposa un plateau de gâteaux. Les deux sortirent ensuite par une porte dérobée. Elles étaient désormais parfaitement seules, si on oubliait les gardes devant les portes de l’appartement, et quelque membre de la valetaille qui devait sans doute être à l’affût du moindre de leurs désirs dans quelque petite pièce proche. La solitude était presque toujours une illusion, au Donjon Rouge, mais ça n’empêchait pas Kaithren de souvent se sentir esseulée au milieu de la foule, visible ou invisible.

« Volontiers. Je boirais la même chose que vous. Je me suis permis de vous apporter quelques biscuits à la mode des Terres de l’Ouest. C’est un peu rustique, à base d’épices, de sucre brun et de fleur de sel, mais j’avoue que cela me rappelle mon enfance. »

Les sablés brun clairs, découpés à l’aide d’emporte-pièces en métal aux motifs élaborés, étaient à vrai dire tout saufs paysans, si l’on exceptait la présence de sucre non-raffiné. Jamais les métayers de son père n’auraient pu s’offrir les épices rentrant dans sa composition. Mais ils étaient un peu durs, à moins d’être trempés dans une boisson chaude, et se transportaient bien. A Port-Lannis, épouses, mères et sœurs de nobles combattants leur en offraient traditionnellement avant leur départ à la guerre. Rien à voir, dans tous les cas, avec les soufflés moelleux, les génoises délicates et les entremets fondants prisés à la capitale.

« Et vous-même, quelle était votre gourmandise favorite, petite fille ? J’espère que les cuisines du Donjon Rouge sont à votre goût. »

Kaithren désirait avant tout la mettre à l’aise et lancer une conversation agréable. Sans quoi, comment obtenir la moindre information de valeur ? Cette « enquête » n’avait pas à être une corvée.

Du thé à la rose ? Kaithren acquiesça avec un sourire, les yeux brillants. Margaery était décidément une jeune femme extrêmement intelligente, à marquer ainsi son territoire avec une simple boisson chaude. C’était très subtile de sa part, et elle ne pouvait qu’admirer la finesse du geste. Plus les minutes passaient et plus elle avait envie de se faire une amie de celle qui serait peut-être un jour à nouveau reine. Il était dommage que les circonstances diplomatiques les contraignent autant.

« Vous me donnez envie de manger de la confiture de mûres. Il y en a parfois dans la sauce du gibier, le saviez-vous ? Le roi Robert aimait beaucoup les plats en sauce, et je crains que les cuisiniers n'en aient tiré des habitudes tenaces. Je reconnais que ce n’est pas l’idéal pour la ligne des jeunes femmes comme nous. »

Elle se retint de préciser que ce serait cependant un excellent fortifiant pour les femmes attendant un enfant. Margaery ne risquait pas de produire un héritier, ainsi éloignée de son mari.

Du coin de l’œil, elle avait observé la servante préparer le thé et se saisit sans crainte de sa tasse. Les empoisonnements étaient un risque réel à la cour, mais dans ce cas précis, elle se sentait tout à fait en sécurité. Les Tyrell n’étaient de toute manière pas assez stupides pour tuer une Lannister de son rang dans leurs propres appartements, alors même que Margaery était otage à la capitale. Kaithren avala une gorgée.

« Votre thé est excellent. Sans épines, contrairement à vous. » Elle lui sourit. Elle s’attendait à un jeu plus subtil, mais sa franchise piquante ne lui déplaisait pas entièrement. « Je vous l’ai dit, je suis venue vous tenir compagnie. » Elle attrapa un biscuit. « Vous n’êtes pas venue à la capitale dans le but d’y vivre seule et recluse, n’est-ce pas, Lady Margaery ? Peut-être avez-vous des amis que nous pourrions inviter au Donjon Rouge ? »

Avec qui traficotait-elle à la capitale ? Son époux était en guerre contre eux, sa présence ici n’avait aucun sens à part en qualité d’espionne ou d’ambassadrice, peut-être, auquel cas, elle accomplissait bien mal cette mission. A moins qu’elle ne soit réellement venue pour être « seule et recluse », fuyant Renly Baratheon ?

« Je m’inquiète simplement pour vous, ma Dame. Il est… inhabituel qu’une jeune femme délaisse son époux si peu de temps après son mariage. Peut-être y a-t-il quelque chose que je pourrais faire pour vous aider ? »

Traditionnellement, les reines arrangeaient les mariages de leurs suivantes. Cersei Lannister avait joué son rôle de marieuse à la perfection dans les rangs de la noblesse, tissant les alliances autour du trône et Kaithren avait été au premier rang de son travail. Peut-être parce qu’elle-même n’avait aucune expérience matrimoniale, il n’avait pas été rare qu’une dame ou l’autre lui confit ses histoires de cœur, venant chercher un conseil dépassionné ou simplement une oreille discrète auprès de laquelle s’épancher.

Une fois qu’elle avait croqué dans son biscuit, Kaithren le laissait fondre sur sa langue. C’était un véritable luxe, et elle en avait bien conscience. Dans cette autre vie où elle avait été mariée dans une rude contrée du Nord, la nourriture se rationnait, s’engrangeait, se distribuait. C’est un carburant vital. Là-bas, on mangeait ce qui tenait au corps sans vraiment se soucier du goût. Peut-être aurait-elle découvert une véritable gastronomie, si elle était arrivée au plein été, en temps de paix, mais son expérience l’avait laissée peu impressionnée. Margaery était une fleur qui n’avait aucun souvenir d’avoir connu l’hiver. Elle avait de la répartie, mais aux yeux de Kaithren, son ignorance de son passé tragique la rendait aussi fragile qu’une fleur prise dans la première gelée, sublime et déjà mourante.

« Je suis surprise que vous n’ayez pas déjà gagné plus de cœurs dans la capitale.  Hélas, les temps sont troubles, et peu cléments envers les étrangers à la cité. »

Margaery venait de reconnaître qu’elle n’avait pas réussi à forger d’alliances. La jeune Lannister s’en sentit soulagée. Elle ne pouvait pas s’empêcher de vouloir apprécier la jeune femme, et n’avait pas envie de la voir la tête sur le billot pour trahison. Quant à en faire l’épouse de Joffrey… Leurs fiançailles n’avaient pas laissé voir de romance naissante entre eux, et surtout, peut-être que ne pas répéter l’histoire permettrait à son cousin de vivre ? Elle aurait volontiers mis la princesse Tyrell directement dans les bras de Tommen, d’ici deux ans peut-être (il était encore si jeune !). Elle croqua délibérément dans son biscuit, qui se cassa avec un léger bruit sec. Voilà qu’elle mettait la charrue avant les bœufs : Margaery n’était même pas encore veuve.

« Je vous introduirais volontiers aux dames de la cour. Elles seront rapidement vos amies, si vous leur expliquez comment tresser leurs cheveux à la mode de Hautjardin. »

La reine Cersei donnait le ton de la mode à Port-Réal, et ses torsades dorées étaient l’objet d’envie de toutes les dames de la cour. Kaithren était curieuse de voir lesquelles de ces dames se laisseraient séduire par les styles plus simples de Lady Margaery, et oseraient les porter en public. De la géopolitique de boudoir en sorte.

Elle posa la tasse et prit le temps de regarder franchement sa compagne du jour. On entrait enfin dans le vif du sujet. Kaithren avait de nombreux cousins à la cour, mais il était évident duquel on parlait présentement.

« Techniquement, le roi est mon petit cousin. Je pourrais certainement lui demander cette faveur. »

Tout le monde savait qu’elle avait une certaine influence sur lui, qui rejaïssait à son tour sur l’influence qu’elle avait à la cour. Elle ne se serait jamais risquée à promettre quoi que ce soit, parce qu’il était capricieux et imprévisible, mais elle obtenait généralement ce qu’elle voulait, si elle était raisonnable et y mettait les formes. En l’occurrence, une entrevue serait d’autant moins difficile que c’était Joffrey qui l’avait envoyée tirer les vers du nez de sa captive. Mais si Margaery se sentait redevable envers elle… Une faveur rappelée au bon moment faisait parfois la différence entre la vie et la mort, ici.  

« De quoi voudriez-vous l’entretenir, exactement ? » Il était inutile de faire semblant plus longtemps.