An 259 - Nos cœurs qui battent à l’unisson, cette sensation de vie en son sein ; c'est tout ce qui compte pour ma mère lorsque mon père, Maelys Feunoyr, part pour la bataille des Degrés de Pierre. Si jusque là elle avait été forcée de l'accompagner dans sa conquête, sa grossesse ne lui permet plus de tel écart. Ainsi elle reste en sécurité, au prêt d’Alequo Adarys, l'un des Neuf et le nouveau dirigeant de Tyrosh. Je vois donc le jour dans l'une des Cités Libres d'Essos et peux, malgré la mort de mon géniteur et la défaite de notre partie dans la guerre, grandir dans des conditions plus que correctes.
Ans 259 à 264 - Il est évident pour Alequo et ma mère que mon nom doit rester secret. La rébellion Feunoyr a en effet été jusque là un échec cuisant, et il est impératif pour eux de protéger le dernier héritier mâle de cette maison ; surtout si jeune et si vulnérable. Néanmoins il est hors de question de m'éduquer comme un vulgaire roturier et je reçois rapidement les enseignements de précepteurs reconnus. J'apprends ainsi les bases de l'histoire, de la politique et de la géographie ; du moins celles assimilables par un enfant de mon âge ; ainsi que les règles de savoir vivre. J'ai de la chance durant ces premières années, je me vois heureux et épanouie dans un milieu riche où je ne manque de rien ; du moins pas plus que d'un père. Alequo veille d'ailleurs un tant soit peu à assumer ce rôle mais, possédant déjà une famille ainsi que des responsabilités grandissantes, il ne se montre pas aussi présent que je le souhaiterais. Ainsi je m’interroge très tôt au sujet de Maelys, mais les réponses à mes questions restent toujours excessivement vagues.
An 264 - Mon monde s'écroule cette année là. Les cloches de Tyrosh sonnent en effet et annoncent la mort du dirigeant Alequo Adarys, empoisonné par sa propre femme, ainsi que le retour au pouvoir de l'archonte de Tyrosh. La volonté des Neuf est alors décimée pour de bon, ainsi que le bouclier qui me protégeait ; je suis en effet désormais en danger de mort, juste parce que je porte le nom qu'il ne faut pas. Ma mère et moi prenons donc la fuite en emmenant avec nous le minimum vital. Passer d'une cuillère en argent à une cuillère en bois, ainsi que d'un lit douillé au sein d'un château à une paillasse de voyage dans un campement de fortune n'est pas facile, loin de là ; surtout pour ma mère dont les nerfs lâchent de plus en plus souvent, jusqu'à devenir littéralement paranoïaque. Il parait en effet qu'on nous poursuit mais encore une fois j’ignore pourquoi. Ainsi je ne comprends pas vraiment ce qui m'arrive et, même avec toute la volonté du monde, je ne parviens pas à contrôler mes angoisses ; ces terreurs nocturnes qui me suivront longtemps, très longtemps, trop longtemps.
Fort heureusement nous parvenons la même année à arriver à Volantis, où Doniphos Paenymion - qui deviendra plus tard un des Triarque de la cité libre - nous accorde sa protection ainsi qu'un refuge décent. Il parait que mon père l'a connu dans sa jeunesse, alors qu'il s’apprêtait à devenir le Général de la Compagnie Dorée. Quoi qu'il en soit je comprends rapidement la nature de la monnaie qu'emploi ma mère pour le remercier, tout comme je comprends que le marchand a déjà des projets bien définis pour moi.
Ans 264 à 272 - Ainsi je continue mes enseignements au sein de Volantis qui se tournent désormais vers l'art de la guerre et du combat, bien plus dur qu'il le faut pour un enfant ; c'est d'ailleurs Doniphos qui m'offre ma première épée. J'en apprends également plus sur mon géniteur ; sur sa monstruosité, ses ambitions et jusqu'à où il était prêt à aller pour atteindre le trône - c'est à dire tout. Le marchand veut ainsi me transmettre ça, il veut me transmettre son avidité de pouvoir sous prétexte qu'un honneur est a racheté mais je suis encore trop jeune pour imaginer de tels projets ; et surtout trop jeune pour deviner qu'il ne sert en vérité que ses propres intérêts.
An 272 - C'est ce que j'apprends bien plus tard, alors que j'atteins l'âge requis pour devenir écuyer. "
Rejoins la Compagnie Dorée. " Me dit-il "
Et trouve le moyen de reprendre la couronne dont tu es l'héritier légitime. ". Il m'annonce en effet qu'il a convaincu un chevalier réputé de me prendre sous son aile et que ce dernier, en plus de me transformer en guerrier, m’emmènera sur le continent de Westeros. Doniphos jure également de me soutenir personnellement et financièrement dans ma quête, ce qui est dans un premier temps un gros avantage pour moi mais le deviendra ensuite pour lui ; soutenir un roi dans son ascension au trône assure sans conteste la pérennité de sa propre richesse et de son pouvoir. Néanmoins aucuns des attraits qu'il cite ne parvient à me convaincre ; je suis dépourvu d'ambition, et je ne supporte tout simplement pas de le voir tenté de me manipuler.
Un cauchemar. Un véritable cauchemar qui me condamne à vivre chaque nuit un peu plus ces terreurs nocturnes qui tourmentaient déjà mon sommeil. Je ne pensais pas qu'on puisse saigner autant sans mourir. Je ne pensais pas que la chaire pouvait à ce point se déchirer en lambeau. Doniphos, lasse d'essayer de me convaincre par des mots, tente en effet de me faire céder par la violence ; de me faire ployer comme un chien qu'il pourrait acculer et enchaîner, afin de me contrôler. J’ignore alors si j'ai de la chance quand ma mère intervient à temps et calme la rage incontrôlée du Triarque alors qu'il fouette mon dos avec sa ceinture, ou si elle aurait du me laisser mourir aujourd'hui pour m'épargner d'autres souffrances.
Ma convalescence est ensuite longue et éprouvante. Imaginez donc un enfant de 13 ans alité sur le ventre, presque incapable de bouger. Les chirurgiens sont parvenus à reconstituer un tant soit peu la peau de mon dos mais jamais ces surprenantes cicatrices ne disparaîtront ; tout comme celles qui blessent désormais mon esprit. Doniphos a peut être réussi à me briser finalement, et ce sous le regard de ma génitrice qui se détache progressivement de moi. Mon refus de rejoindre la Compagnie la frustre en effet également, tout simplement parce qu'il met en péril sa relation privilégiée avec le Triarque, sa petite vie riche et tranquille. Ainsi je suis seul pour la toute première fois de mon existence, et me vois tel le monstre que fut mon père alors que je me regarde dans le miroir ; alors que j’observe avec dégoût mon dos mutilé.
An 273 - La vérité? Je ne me souviens plus vraiment comment je suis arrivé là, dans cette rue au beau milieu de la nuit. Je me rappelle seulement de mon cauchemar et de m'être réveillé en hurlant, ainsi qu'en agrippant mes draps trempés de sueur. Ainsi vêtu simplement, couvert d'une veste et paré d'un petit sac rempli de vivres et de ma lyre favorite, je quitte Volantis pour m'évaporer tel un fantôme qui n'aurait jamais existé - à partir de là, je ne reverrais jamais plus Doniphos et ma mère, mais peut être est ce mieux ainsi.
Je vis prêt de cinq lunes dans la nature et la rue, voyageant entre les villes dans des convois de marchandises à la recherche d'un endroit où je me sentirais chez moi. En vain. Je me contente alors de survivre en faisant la manche, en jouant de la lyre, et en rendant quelques services plutôt idiots ; je ne compte d'ailleurs plus le nombre de fois où je n’aie pas reçu ma paye. J'échappe également plusieurs fois aux trafiquants d'esclaves ou aux brigands avides de chaire fraîche, bien trop attirés par un enfant de mon âge qui ne manquera à personne et que personne ne cherchera. Oui désormais je n’aie plus rien du petit noble qui ne manque de rien ; en plus d'être souillé de la tête au pied, j'ai maigris et fait sans doute peine à voir. J'apprends alors très vite à voler ce dont j'ai besoin : des vivres mais aussi des vêtements, ainsi que des bijoux et de l'argent trouvés directement dans les bourses de mes victimes. Oh on me fait payer sévèrement mes tentatives de vole lorsque je suis pris la main dans le sac ; une fois j'ai même failli perdre une main ; mais je parviens toujours à en réchapper.
Voilà trois jours que je suis arrivé dans la ville libre de Pentos et le marché est bondé ce jour là. En passant prêt de l'étal de fruit, j'en profite donc pour voler une pomme comme si de rien était. Croquant dans sa chaire juteuse à pleine dents, je continue mon chemin jusqu'à glisser mes doigts fins dans le sac d'une dame pour lui voler un bracelet, avant de piquer une bourse presque pleine à un homme qui passait par là. Puis, ni une ni deux, je me glisse dans l'ombre d'une ruelle pour faire le compte de mon nouveau trésor. Néanmoins je n’aie guère le temps de faire quoi que ce soit que le cri strident d'une femme attire mon attention. Un peu plus loin, dans cette même ruelle qui se trouve en réalité derrière un bordel, se trouve en effet un homme qui violente une femme en lui hurlant qu'elle l'a volé. La prostituée aux cheveux de jais ne se laisse pas impressionnée mais n'a de toute évidence aucune chance face à une telle brute. Ainsi et alors que je m'apprête à faire demi tour pour éviter les problèmes, je finis par être happé par le dégoût que m'inspire les gémissements de la jeune femme. Rageur je me précipite donc vers eux et, une fois derrière l'agresseur, lui envoi de toute mes forces mon pieds entre les cuisses. L'homme rugit aussitôt de douleur et se pli en deux, avant de recevoir le genou de la prostituée en pleine figure ; en constatant le sang sur son visage alors qu'il s'effondre, presque inconscient, j'imagine qu'elle lui a alors bien cassé le nez.
Ans 273 à 280 - Cette femme s'appelle Aurore et, telle son nom l'indique, elle devient un véritable rayon de soleil dans ma minable petite vie. En effet, appréciant mon courage et mon audace, au même titre que mes qualités au vol, la prostituée m'offre un toit ainsi que de la nourriture en échange de service.
Dans un premier temps je travaille donc dans le bordel en tant que serviteur. Je me charge alors d'apporter aux clients boissons et mets qu'ils désirent, de jouer un morceau de musique lorsqu’ils me le demandent, ainsi que de faire le ménage des chambres après leurs ébats. Parfois j'aide également les filles de la maison close en leur rendant des services, contre quelques pièces que je mets de coté.
Puis, lorsque j'atteins l'âge de 16 ans, Aurore me demande d'offrir aux clients ce que j'ai de plus précieux. Je ne suis pas dupe, je sais très bien ce qu'elle me réclame, et contre toute attente je ne refuse pas. Ces filles sont devenues ma famille, ce bordel est devenu ma maison, et pour rien au monde je les échangerais. Je suis en effet bien traité et même considéré ; ça vaut largement la peine de passer quelques moments désagréables, non?
Les premières fois sont difficiles, douloureuses et humiliantes ; surtout avec les hommes. Néanmoins je parviens à m'y faire et à m'adapter ; venant même à utiliser mes charmes pour faire de ces instants des moments plus agréables, jusqu'à prendre un gout certain de la luxure avec les femmes. Pour m'aider je sombre tout de même progressivement dans l'alcool et la déchéance. Insouciant, je me contente de peu et me moque de tout... excepté de la sécurité de ma famille.
En effet, bien nourris et mieux traité, je n'ai pas cessé de m’entraîner au combat et à l'épée ; développant progressivement une carrure qui ne laisse pas indifférent. Ainsi je peux aisément chasser les malfrats du bordel et éviter les débordements. La maison ne fait donc plus crédit et les filles ne servent plus à passer les nerfs, les clients l'ont vite compris. La maison close prend donc une certaine réputation et s'enrichit, tout comme mon surnom : le dragon blanc - lourd de sens pour un gigolo et un Feunoyr, n'est ce pas?
Néanmoins avec l'âge il est difficile pour moi d'accepter d'être abusé. Malgré l'alcool que je consomme de plus en plus, je ne trouve en effet plus la patience et ne supporte plus d'être ainsi soumis. Les murs du bordel se resserrent ainsi sur moi, m’oppressent, tandis que mes envies de liberté et d'aventures s’éveillent. J'étouffe alors, prêt à éclater et à faire des ravages.
An 280 à 304 - Fort heureusement Aurore est restée mon rayon de soleil, elle me connait et voit ma détresse. Ainsi elle me somme de m'en aller, de reprendre la route et de faire ce à quoi je suis destiné ; car selon elle je ne le suis pas à ça. J'hésite alors de longs jours, peu désireux de les abandonner, mais elle a raison ; bientôt je ne serais plus bon pour le bordel, je serais même peut être dangereux.
Ainsi, à la veille de mon 21ème anniversaire, je rembourse la totalité de mon crédit au bordel avec l'argent que j'ai économisé durant ces quelques années et achète ainsi ma liberté. Si je reste plusieurs lunes à Pentos afin de m'assurer de la sécurité de la maison close et de celle que je considère encore comme ma famille, je finis par m'en éloigner pour trouver du travail et pour gagner ma vie - et surtout pour m'acheter la boisson qui est devenu vitale pour moi. Mais à quoi suis-je bon hormis à baiser et à me battre? A rien, sans aucun doute.
C'est ainsi que, après un ultime investissement dans une armure de cuir, dans un poignard et dans une épée de qualité, je deviens mercenaire à ma solde. Ironie du sort quand on se souvient que Doniphos voulait faire de moi un mercenaire de la Compagnie Dorée. Toutefois dans ce cas je suis libre de mes décisions et je suis libre de choisir mes contrats. Ainsi je ne tues pas les enfants et je ne torture pas ; je me contente simplement de tuer proprement, discrètement, et d’empocher mon salaire avant de disparaître. Dans mon aventure je fais donc de nombreuses rencontres et me fait une certaine réputation ; et ce pas seulement en tant que mercenaire. Je veille en effet à rester un homme de parole - loin d'être un homme d'honneur - mais aussi à être un homme tout court. Oui, je profite de l'argent que je gagne, je profite de la vie et de tout les plaisirs qu'elle daigne m'offrir. Suis-je heureux? C'est ce que je crois. Car la vérité c'est que je me dégoutte autant que je me hais. Encore aujourd'hui, tandis que je me regarde dans le miroir, je vois un monstre que je fuis par tous les moyens ; perdu dans un cercle infernal qui me ronge irrémédiablement de l’intérieur et qui me tue à petit feu.
An 304 - J'ai vaguement entendu parler de ce qui se trame de l'autre coté du détroit, sur le continent de Westeros, mais ne m'y suis jamais intéressé. Peut être n'en n'avais-je rien à faire? Ou peut être avais-je peur de ce que je pouvais découvrir? Quoi qu'il en soit je ne m'y suis pas rendu pour porter main forte à ces pauvres gens. Rares sont ceux qui se sont souciés de moi, pourquoi irai-je me soucier de parfaits inconnus?
Ainsi et pour un contrat plutôt conséquent, je me retrouve dans ma ville natale, à Tyrosh. Je ne pensais pas y remettre les pieds un jour, et j’ignore si j'en ai réellement de bons souvenirs ; après tout c'est ici que le cauchemar de ma vie a commencé. Quoi qu'il en soit je me retrouve par hasard sur le quai du port, à observer l'horizon. Mes yeux dorés captent alors cette brume étrange qui couvre les terres de Westeros que je parviens d’ailleurs à peine à discerner ; une brume qui semble progressivement avaler le bleu mer du détroit.
Mon regard se plisse alors, intrigué et scrutateur, jusqu'à voir de plus en plus distinctement le brouillard dans lequel bouge une ombre étrange. Une ombre qui devient une silhouette. Une silhouette qui devient un dragon. Mes yeux s’écarquillent alors et mon souffle se coupe, au même titre qu'un vent glacial vient fouetter mon visage et faire virevolter mes cheveux d'argents. Puis un rugissement assourdissant résonne à travers le détroit et une sensation terrifiante me traverse de toute part ; comme si une multitude de poignards venaient de pénétrer dans ma chaire... jusqu'au trou noir total.
An 298 - Je me redresse dans mon lit, en sueur et haletant, les doigts crispés sur les draps. Aussitôt mes yeux solaires observent la pièce dans laquelle je me trouve. Je ne comprends rien, foutrement rien. Qu'est ce qui s'est passé et ou suis-je?
Je reçois mes réponses quelques instants plus tard et découvre avec stupéfaction que le temps est remonté jusqu'en l'an 298, et que je me trouve à Myr pour un contrat que j'ai déjà exécuté. Suis-je devenu fou? Je me retrouve ainsi perdu quelques heures durant et ce jusqu'à ce que je me souvienne de cette sensation terrifiante qui m'a traversé, alors que je me trouvais sur le quai de Tyrosh ; si je m'y suis véritablement trouvé. Il me faut sans conteste des réponses, tout comme j'ai le besoin soudain d'intervenir ; d'empêcher que cela se reproduise, ou se produise tout simplement. Ainsi naquit ma toute nouvelle ambition, mon nouveau but, et c'est sur le continent de Westeros que je trouverais les informations nécessaire.
Ainsi me voilà embarqué sur un navire. Perché sur le pont, j'observe alors les Terres des Sept Couronnes se rapprocher de moi ; au même titre que je me rapproche de ma destinée - loin d'être celle que j'imagine.