Kings don't need advice from little hornbills for a start (Joffrey)

On dit dans les couloirs que le petit prince est un nourrisson bien particulier. Il est silencieux. Ce n’est pas normal pour un si petit bébé. On ne l’entend jamais. Sauf quand son père ose s’approcher de trop près et le prendre dans ses bras. Dans ces situations qui deviennent de plus en plus rares tant le roi ne supporte pas le bambin, celui-ci se met à hurler et s’égosille aussi fort que ses petits poumons le lui permettent. Il braille, s’agite et frappe. Ses joues se gonflent et son visage devient cramoisi. On dit que le roi ne vient plus le voir. Que le petit reste à longueur de journée avec sa mère. Il est silencieux. Quand les dames de compagnie viennent s’affairer autour de la reine, c’est à peine si elles sont autorisées à regarder trop longtemps l’enfant. Il est toujours prisonnier entre des mains plus grandes que son visage, entouré de draps qui se confondent avec les manches des robes de sa mère. Des griffes protégeant un trésor au regard vide. Un regard qui n’a rien de celui d’un marmot, chuchote une des Septas du palais. Il fixe les autres, l’œil mort et dénudé d’émotion en enfonçant ses petits doigts boursoufflés dans la chair du bras qui le maintient si fort. Joffrey est un nourrisson trop calme. Il n’a pas d’odeur ni de couleur.

On dit dans les cuisines du Donjon Rouge que le petit prince refuse de téter au sein qui n’est pas celui de sa mère. Il pince et mord le mamelon de la nourrice. Il s’indigne, râle et s’étouffe dans sa bave. Joffrey frappe et s’énerve, capricieux. C’est un bébé difficile. Lui qui était bien trop calme fait de plus en plus entendre sa voix perçante et désagréable. Pourtant ça n’a rien de rassurant de l’entendre s’exprimer à travers de cris étouffés. Quand il fait du bruit c’est seulement pour chouiner. Les nourrices prétendent que le petit garçon, qui va doucement vers ses deux ans, ne les aime pas. Il n’aime personne. Sauf peut-être sa mère, avec qui il se montre plus tendre. La reine ne veut rien entendre des inquiétudes des mestres. Si le petit ne veut pas goûter le lait de la nourrice, elle sera renvoyée. La première, la seconde et toutes les autres. Sa mère le garde entre ses bras, le berce et lui susurre des mots d’amour sucrés. A presque deux ans Joffrey ne dit toujours pas un mot. Ses grands yeux globuleux sondent son environnement. On le dit mauvais comme tout, malgré son visage de poupon. Il n’y a rien de très normal dans cette vilaine créature. Il inquiète les sujets. Il révulse son père. La reine l’aime suffisamment pour eux tous. Elle caresse ses cheveux blonds, le serre contre son sein. Elle le protège de tous les maux. Sa prise est une belle cage dorée.

On dit dans les écuries royales que le petit prince dégoûte son père. Ce minuscule garçon au teint trop pâle et aux yeux trop bleus met ce géant de roi en colère. L’enfant, perpétuellement à la recherche de l’attention de cet homme imposant, le suit et rôde autour de lui comme une ombre toute petite et insignifiante. Il s’accroche aux tuniques du roi, griffe et tire ses bras. Les plaidoiries passent dans son regard perçant quand ses lèvres fines restent scellées. Le roi n’est pas un homme patient ni un homme doux. Les petits pages racontent que souvent le soir, la tranquillité du château explose avec les querelles du couple royal. La reine, toujours si effacée et réservée, se montre plus féroce qu’une lionne lorsque on ose hausser le ton sur son tout petit. Même le roi n’a pas son mot à dire. Le roi redevient un homme. Il n’est plus père. Il n’est plus rien face à la mère et son fils. Une entité de roc et de granite que rien ne saurait ébranler. Le roc et le granite s’effritent. Le roc et le granite se brisent face à la force brute. Le roi n’est pas un homme patient, ni un homme doux. On dit qu’il a retrouvé son incapable de fils baigné du sang d’une petite chatte, son cadavre éventré à ses pieds. Le gamin agrippait entre ses serres minuscules les chatons étranglés par le cordon ombilical encore rattaché au placenta. Personne ne se presse pour consoler le petit prince. Seul le mestre s’affaire autour de son visage ensanglanté. Il dit que bientôt la cicatrice sera dissimulée par son sourcil, que ses petites dents de lait brisées ne seront pas éternelles. Les perles blanches ne manqueront à personne. Joffrey ne sourit pas.

On dit dans les jardins royaux que la petite princesse a les yeux qui rient. Elle est belle comme le soleil et tous s’affairent autour de ce petit astre de bonne humeur. Elle est radieuse. Tout son être sourit. Les nourrices la cajolent, couvrent son visage de baisers quand la reine ne regarde pas. La reine regarde souvent. Elle surveille sa toute petite, se laisse attendrir par son sourire. Le nouveau petit trésor de la famille royale réussit l’exploit d’apaiser le roi et ses terribles colères. Joffrey, lui, continue ses jeux macabres. Il y entraîne sa cousine qui pallie la présence de sa mère. La seule attention qu’il accapare s’efface brusquement. Elle n’orbite plus autour de lui. Le prince doit partager sa  maman aimée avec cette sœur qu’il ne veut pas. La jalousie croît pour cette vilaine petite chose qui lui vole ce qu’il a de plus précieux. Cette odieuse créature qui attrape sans difficulté ce qu’il n’a jamais réussit à effleurer du bout des doigts. Le roi la regarde et rit. Toute la Cour rit avec elle. La prise de la reine se fait chaque jour un peu plus lâche. Elle doit ouvrir grand ses bras pour encercler ces deux enfants. Bientôt trois. Joffrey glisse et s’éloigne. Il joue avec les chatons et les oiseaux. Il s’amuse avec les poissons des bassins. Quand un autre petit prince prend sa place et que le roi et la reine détournent le regard de Myrcella, Joffrey vient l’inviter à ses jeux. Il prétend que si elle a glissé dans le grand bassin, c’était bien par inattention. Et la sentinelle, du haut de ses remparts, se garde bien de dire la vérité. Le roi n’est pas dupe. La reine garde les yeux scellés. Elle partage son amour trop grand pour ses trois petits astres. Joffrey est mauvais. Il n’aime personne à la Cour. Il exècre ses cadets.

On dit dans la cour de Winterfell qu’un mariage grandiose sera bientôt à célébrer. La belle Sansa va quitter son nid au Nord pour s’envoler jusqu’à Port-Réal. Il s’y chuchote qu’elle se fait belle pour le prince héritier aux grands yeux bleus et aux cheveux dorés. Les deux enfants se tournent autour et minaudent. L’attention de la demoiselle ne déplait pas. Les filles qui s’affairent aux cuisines racontent que la belle Sansa de Winterfell deviendra reine de Westeros. Et ces histoires d’amourette adolescentes et de royauté passionnent bien plus que ces histoires de politique qui ont amenée cette rencontre idyllique. Le gouverneur du Nord va rejoindre la capitale et les filles gloussent. Loin du regard de son père, peut-être que l’aîné des louveteaux se permettra de batifoler aux écuries. L’hiver vient. Il sera long à l’image de l’été auquel il succède. Dans la cours de la ville d’hiver on dit que Myrcella, qui ne laisse jamais ses émotions prendre le dessus en public, a les yeux rouges et boursoufflés lorsqu’elle visite Bran alité. Le petit Tommen reste  accroché aux manches de sa mère pour mieux y dissimuler son visage inondé. On chuchote que le prince vantard n’a pas daigné se présenter auprès de la dame de Winterfell. Sa compassion reste dissimulée derrière ses yeux plus froids que le temps capricieux du Nord. On dit que les relations avec son oncle, le lutin, sont houleuses. On préfère se rire de ce drôle de petit homme et s’offusquer de ses manières. On préfère pleurer le futur trop incertain du jeune Bran. On préfère se lamenter dans la discrétion de la nuit le départ de la future main du roi et de ses deux filles.

On dit dans les rues de la capitale que la main du roi a été condamnée à perdre la tête. Un traître s’est dressé contre la couronne, profitant de la mort de Robert Baratheon. Le père de la petite colombe a bafoué le nom des Stark. Les monarques se succèdent pour un peuple las mais au moins la félonie à un arrière goût de divertissement. La foule se presse autour de l’estrade, s’écrase et ne devient qu’un souffle unique lorsque la tête du captieux valdingue des marches dans une danse macabre. Le gouverneur du Nord n’est plus. Les promesses du petit roi ne valent rien. De la poussière et des clous. Il s’esclaffe et ricane, s’amuse devant l'échiquier d’une partie qu’il ne comprend pas. Les Stark sont les ennemis. Ils tomberont tous un par un. Le vieux loup et ses petits, éventrés par l’andouiller. Les pleins pouvoirs sieds rarement à un enfant. Il gratte la cage dorée. Entre les doigts de la reine régente se dessine l’opportunité d’une nouvelle liberté. Le trône de fer lui inspire le loisir d’une autonomie totale. L’idée n’est qu’une esquisse à peine déchiffrable, s’insinue sur ses pensées comme un voile de tulle jusqu’à en devenir à peine visible. Elle se tortille au fin fond de ses pensées, un asticot dans une cerise écarlate. Secondaire mais présente, submergée par la menace du Nord furieux. Le lion à la crinière de mercure mène le ballet par delà Port-Réal. La menace est loin, échos déformés dans des conseils pénibles. Le petit roi n’en fait qu’à sa tête. Le peuple crève de faim dans les ruelles de la cité. Sansa pleure dans l’intimité de ses appartements. Cersei chuchote au creux de l’oreille de son fils aîné dans la salle du trône.

On dit dans la salle du Conseil restreint que le petit peuple crève de faim dans les artères de Port-Réal. La vermine affamée grouille, lutte pour un quignon de pain rassis. Les orphelins ont le ventre rond et tendu, les os déchirent leurs flancs. Ils ne racontent rien. Les mouches parlent pour eux. Jouer à la guerre coûte cher. Autour du bassin, les lavandières chuchotent que les batailles se perdent. Les hommes ne rentreront pas chez eux. Les couches resteront vides et froides ce soir et les prochains. Elles parlent tout bas, pour ne pas être entendues, loins des belles femmes qui traînent et des enfants qui rôdent. Le petit roi a provoqué la furie de ses sujets déloyaux au départ de sa douce et belle soeurette. On dit que Joffrey les ferait tous pendre en leçon, si seulement son grand-père n’était pas. Caché dans les tours du donjon, l’enfant roi ne vient plus écouter les lamentations du petit peuple dans la salle du trône de fer. On raconte que sa mère peine à apaiser sa hargne. Elle a levé la main sur son fils, le monarque des Sept royaumes. Le lutin aussi a osé. Les rumeurs embrasent les venelles de la capitale. La guerre se perd, les hommes meurent dans les campagnes et dans la grande ville. Le roi a l’oeil fou et la menace facile. Le fils d’inceste. Il aboie et commence à mordre. La bave aux lèvres, il a la rage. Les manteaux d’or de la couronne égorgent enfants et adolescents. Des bâtards de l’ancien roi. Quand les cadavres s’empilent dans les fosses communes, l’autre s’égosille et en réclame plus. Qu’on les crève ces chiens de traîtres. On dit que le vent de menace ne souffle plus que dans les campagnes au nord. Port-Réal empeste, l’air est infecté, empoisonné.

On dit au coeur de la Citadelle de Maegor que ce soir les hommes du frère traître vont saccager la ville déjà démantelée. Les femmes n’auront pas le temps de pleurer la mort de leur époux et de leur fils que les envahisseurs venu de la mer les prendront comme des chiennes pour célébrer leur victoire. Elles tremblent d’être aveugles et sourdes à l’extérieur. Elles prient pour les hommes puisque c’est la seule chose qu’elles puissent faire. Le Donjon Rouge est silencieux. La reine tient serré contre elle son tout petit. Un par un, ses enfants s’échappent de sa prise. Elle réclame son aîné, qu’il quitte le champs de bataille pour rester protégé dans les manches de sa robe. Rempart contre le reste du monde. Ils vont mourir ce soir. Elle mourra avec ses bambins. On dit sur les remparts que la fin est proche alors que la nuit est encore noire et calme. Les hommes tremblent dans leurs armures. Le petit roi piaffe et s’agace. Le lutin patiente. Et le ciel funeste brille de flammèches de jades. Les explosions colorées battent une cadence sombre et mortelle que les lames des épées s’empressent de rejoindre. Le canon sanglant bat la mesure quand la chaire se déchire. Les hommes s’entretuent. Il n’est pas taillé pour la guerre, le roi pleutre. Il s’enfuit. Il court se cacher dans les jupons de sa mère. Le glas sonnera bientôt à Port-Réal.

On dit dans les bas fonds de la cité que la belle rose de Hautjardin s’épanouit joliment au sein du Donjon Rouge. Elle est aussi douce que belle, ses paroles sont du sucre. Le peuple l’aime et confond son image avec le roi pleutre. Avec la rose vient la promesse de ne plus jamais avoir faim. La nourriture abonde. Les ventres sont gonflés et douloureux de tant manger. Le roi cruel est oublié, la ville se retrouve paisible et calmée. Depuis le retour de Tywin, la guerre prend un nouvel éclat. Les usurpateurs faiblissent. Ceux que l'on croyait infaillibles ne sont que des illusions trompeuses. La force du Sud est inébranlable. Les écuyers racontent que le jeune loup a perdu la tête et il danse dans la nuit comme un pantin désarticulé. L’armée du grand Nord si solide vole en éclat. Elle s’est éparpillée. Les Stark tombent un à un. La petite colombe est bien seule dans son nid et le roi se moque d’elle. Il se sait tout puissant auprès de sa jolie fiancée qui n’a plus cette vilaine odeur de trahison. La reine régente voit son pouvoir glisser entre ses doigts. La ficelle s'effiloche, le lien se brise. Joffrey s’est glissé entre les barreaux de la cage dorée. Il ne s’éloigne pas, il lui prend tout ce qu’elle possède pour jouer avec.

On dit que dans les bras de sa mère hystérique, le petit roi était de nouveau silencieux. Un nourrisson bien particulier. Le visage bleu, les yeux injectés de sang, il n’a pas été capable de dire un mot dans son lent supplice muet. Le roi est mort. Vive le roi. La reine mère sera la seule à le pleurer.

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∞ Un petit mot de l'admin :
Quel plaisir une nouvelle fois de lire ta plume si habile ! Une fiche bien construite, bien réfléchie, et bien épurée. Bref, un pur bonheur. Tu as réussi à me faire avoir de la compassion pour ce petit bonhomme si cruel. J'ai hâte de te retrouver en RP !