Un nouveau client peu ordinaire [Jaime&Nath]

Il y a une raison pour laquelle je n'aime pas recevoir de commandes de nobles et autres riches bourgeois se prenant pour le centre du monde. Ok, deux. Déjà, je n'aime pas ce genre de personnage, ça doit être du au mépris profond que j'ai pour mon paternel. Ensuite, peu fichus de descendre eux-même dans les bas quartiers de la cité, ils y envoient leurs larbins. En soi, ils font ce qu'ils veulent. Mais quand ensuite on vient me dire que l'épée d'une toise et demi de long qu'on m'a commandé ne correspond pas à la brindille d'1m60 qui est censée la manier, là je rigole. L'idée, c'est qu'un bon forgeron sait au premier coup d’œil quelle lame correspondra à la personne qui la maniera. Sauf que sans voir la dite personne... c'est plus compliqué. Bref, j'ai la chance d'aimer mon métier et chaque pièce unique que je façonne. A défaut d'aimer certains de mes clients. On pourrait penser que je suis bourru. Ok, Peut-être qu'en dehors de la taverne, je le suis un peu. Mais mon maitre a su m'inculquer quelques leçons de commerce, dont l'une dit qu'il faut toujours être agréable au client... celle-là, je la tiens en général dix minutes face à des emmerdeurs finis. Vous connaissez cette envie profonde de dire à quelqu'un d'aller se faire voir quand il commence à critiquer tout ce que vous faites? J'ai tendance à envoyer les cons se faire voir, en effet. Ce qui a toujours su tirer un sourire à mon maitre alors qu'il levait les yeux aux ciels et me répétait une fois encore que la femme qui me supporterait, il ne faudrait pas que je la laisse filer. Non, en temps normal je suis très (trop?) gentil. Mais faut pas me chercher.
D'aucuns diraient que je peux me défouler à loisir avec mon marteau et mon enclume. Une chose que je ne fais jamais, en vérité. Je respecte mon art pour ce qu'il est, et on abime pas du bon matériel à s'énerver dessus. On s'en sert intelligemment, en sachant placer chaque coup pour faire du métal ce que je souhaite en faire. Comme je le fais présentement, le son du métal contre le métal résonnant à mes oreilles dans la chaleur parait-il étouffante de ma forge.

Entre deux coups de marteau, il me semble entendre une voix. Songer à installer une clochette à ma porte? Vu le bruit produit par mon four et mon marteau, c'est une cloche de vache qu'il faudrait installer, et encore. Et si je suis bon forgeron, les cloches c'est quelque chose de particulier. Ceux qui savent fabriquer le son qu'ils veulent fabriquer sont rares, et je n'en fais pas partie. Bref, je donne un dernier coup de marteau - celui qu'il manquerait si je ne le donne pas maintenant - avant de me tourner vers l'entrée, pour y deviner la silhouette d'un homme d'assez haute stature. Je pose le marteau avant de plonger la lame dans le baquet d'eau froide, le bruit de l'eau s'évaporant soudain dans un nuage de fumée blanche disparaissant rapidement alors que la température du métal descend en flèche. Je pose ensuite l'arme sur mon enclume avant de m'essuyer les mains avec un chiffon qui ne changera pas grand chose à leur état, et me rapprocher de mon visiteur. A première vue, un noble, vu la tenue. Je retire ce que j'ai dit, certains savent se déplacer dans les bas quartiers.

"Lui-même. En quoi puis-je vous être utile?"

Je passe derrière lui pour bloquer la porte d'entrée en position ouverte, offrant un peu d'air et de lumière à l'endroit. D'ailleurs, je m'équipe d'un bâton de bonne longueur pour soulever un pan du toit, dans le même objectif. Pas une habitude pour moi, mais parfois, l'air devient si chargé de fumée et de vapeur que ça en devient irrespirable, même pour moi. Aérer un peu ne fait jamais de mal.